« Partager un regard personnel sur une pratique artistique
Restitution d'une visite-performance »
- Clémence Canet
Comment présenter une œuvre ? En quels termes commenter une pratique artistique ? Comment restituer, via les mots, des pièces visuelles ? Je me pose ces questions tandis qu'Alain Michard me sollicite pour écrire un texte sur son travail. Alain Michard est artiste, chorégraphe, comédien, réalisateur. Ou réalisateur, comédien, chorégraphe, artiste. Sa pratique, polymorphe, est difficile à circonscrire, c'est précisément pour cette raison qu'il cherche quelqu'un·e qui résumera, en quelques phrases, l'essentiel de son travail. Au moment où il me contacte, j'ai déjà beaucoup échangé avec lui sur sa démarche mais je n'ai assisté qu'à l'une de ses réalisations : La carpe et le lapin – cours sauvage de l'histoire de l'art indompté, donnée en mars 2020 au musée d'art de Nantes. Il s'agit d'une conférence-performance au long de laquelle Alain Michard présente deux artistes (différent·e·s à chaque fois), dont la pratique est a priori éloignée. À Nantes, les protagonistes sont Robert Filliou (artiste français proche de Fluxus) et Daniel Johnston (musicien étasunien). Mais un troisième s'immisce peu à peu dans le discours : l'artiste-conférencier, Alain Michard lui-même. À force de digressions, d'anecdotes et de parenthèses, il révèle l'intérêt qu'il porte à Johnston et Filliou, la façon dont ils ont influencé sa pratique. Il devient à son tour un objet du propos.
La conférence-performance apparaît ici comme un format privilégié pour pratiquer une histoire de l'art orientée par les affects et l'expérience intime des œuvres. Le discours porte autant sur des travaux artistiques que sur la réception, située, qui en est faite.
À mesure que je repense à cette conférence-performance, que j'échange avec Alain Michard sur d'autres de ses projets, que je navigue sur son site internet, une question se précise chez moi : comment commenter une pratique artistique qui repense sans cesse la façon dont on pratique l'histoire de l'art ?
La performance restituée ci-dessous est une proposition de réponse à cette interrogation. Donnée pour la première fois dans le cadre de la journée d'études « Œuvres en parole : chambre d'échos » à l'université Rennes 2, sur une invitation de Laurence Corbel, elle s'intitule Mon nom n'est pas Alain Michard.
Lumière éteinte. Rideaux tirés.
Projection du site internet d'Alain Michard derrière moi.
Diffusion par enceinte de la voix off au fond de la salle.
Une lumière posée sur ma table est allumée quand je parle (voix in), éteinte quand on entend la voix off.
Voix off :
Bonjour à toutes et à tous, je m'appelle Clémence Canet, et je m'intéresse, dans le cadre de ma recherche doctorale, aux visites guidées. Comme l'explique Dufiet dans « Les visites guidés culturelles, définition générique et caractérisation discursive » :
Une Visite Guidée comprend trois composants [...] :
- le Guide : c’est toujours une seule personne. Le G a la responsabilité de la réalisation du programme discursif, ou script.
- le Visiteur : la Visite Guidée n’est pas une visite privée ; le V est donc une classe de plusieurs acteurs, un groupe. Les V constituent toujours un groupe de destinataires qui attend un discours culturel [...].
Le troisième composant est le référent culturel [...] : pour les V, il constitue l’objet à découvrir dans la VG ; pour le G, il est l’unique objet de discours.
L’existence du référent motive la présence du groupe de V et fait que le discours du G n’est pas libre. L’approche du référent culturel se fait toujours de manière respectueuse, et parfois sensible. (Dufiet, 22-23)
Aujourd'hui je propose d'endosser le rôle de guide, et comme ce rôle ne peut être assumé que par une seule personne, vous serez forcément les visiteur·se·s du tour auquel je vous convie. Reste alors à savoir quel est le référent culturel qui motive votre présence ici, quel est l'objet que vous êtes venu·e·s découvrir. Eh bien si jamais vous ne le saviez pas, il s'agit de la pratique artistique d'Alain Michard. Nous allons déambuler dans ses travaux, observer plusieurs de ses œuvres ; j'espère que vous êtes prêt·e·s car la visite va bientôt commencer.
Voix in :
Bonjour à toutes et à tous. Je m'appelle Clémence Canet, je suis ravie de vous accueillir aujourd'hui pour partir à la découverte de la pratique artistique d'Alain Michard. Par le biais de son site internet[1] qui se trouve juste derrière moi, nous allons déambuler d'une œuvre à l'autre ; j'en commenterai certaines, mais pas toutes, car elles sont trop nombreuses. Les différents espaces dans lesquels nous allons circuler sont fléchés (à chaque étage correspond un nom : arts visuels, films, performances, etc.) ; je vous demanderai néanmoins de rester groupé·e·s parce que malgré l'apparente organisation qu'on voit sur le plan, nous allons en réalité pénétrer dans un vrai dédale, dans un labyrinthe. La visite va durer un peu moins de trente minutes ; si jamais vous êtes complètement perdu·e·s n'hésitez pas à élever la voix pour nous retrouver, sinon on pourra aussi bien sûr échanger à la fin de la visite et je serai ravie de répondre à vos questions si jamais vous en avez.
Voix off :
Ça, c'est ce que Dufiet appelle « l'ouverture » (35) de la visite guidée. L'enjeu de ce moment de rencontre est de créer ce qu'il nomme : « un climat d'affects orientés positivement » (35). Il faut que je vous paraisse sympathique - c'est pour ça que j'ai beaucoup souri - et que j'aie l'air digne de confiance : l’objectif est que vous pensiez que je maîtrise mon sujet. Même si à première vue ça n'a pas vraiment de rapport, c'est dans ce but-là que j'ai mis une chemise blanche et une veste noire. C'est aussi dans ce but-là que j'ai évité de vous dire que je ne me sens pas vraiment au point, que je trouve très stressant de parler du travail d'Alain Michard alors qu'il est présent dans la pièce, et que j'ai prié toute la nuit afin qu'il n'intervienne pas pendant la visite pour rectifier mes propos ou s'offusquer de mes commentaires. À bon entendeur.
Voix in :
Sur le seuil du site internet d'Alain Michard, on devine déjà que ses projets sont variés : ils s'inscrivent dans des champs divers, celui du spectacle, du cinéma, des arts visuels ou de la performance. Ils se développent dans le cadre de résidences ou de laboratoires.
Il est parfois recommandé de commencer la visite des musées par le dernier étage, pour ne pas être noyé dans le flot des visiteur·se·s, et je vous propose de suivre ce conseil. Commençons tout en haut, dans l'espace consacré aux pièces, et arrêtons-nous devant l'une d'entre elles : J'ai tout donné.
Ce spectacle fait ressurgir une histoire personnelle, elle rend compte de moments de vie et restitue la découverte d'œuvres et d'artistes. Elle débute et se conclut par un concert-rock, en hommage au musicien étasunien Daniel Johnston. L'espace de la scène est divisé en trois parties : une coulisse encombrée d'accessoires, un espace central dédié à la danse et un mur sur lequel un homme peint lentement les paroles d'une chanson de Johnston.
Je viens d'évoquer Daniel Johnston, c'est une sorte de fantôme qui hante le travail d'Alain Michard. On sera certainement amené·e à le croiser à d'autres reprises, si on a le temps de s'arrêter devant la performance La Carpe et le lapin, par exemple. Je vous serai reconnaissante de ne pas le déranger et de ne pas non plus lui donner à manger.
Derrière cette œuvre se trouve un escalier que je vous propose d'emprunter et qui va nous conduire directement à l'étage des arts visuels, attention, les marches sont étroites.
Voix off :
Je viens de formuler ici ce que Dufiet appelle « un énoncé instructionnel » (23), il s'agit d'une parole qui fait faire (ou ne pas faire) quelque chose au groupe de visiteur·se·s que vous êtes. Ce type d'énoncé me permet en tant que guide de gérer la visite et me conforte dans le rôle d'encadrante inhérent à ma fonction. Il vous conforte aussi dans le rôle d'encadré·e·s inhérent à votre fonction, vous n'avez donc plus qu'à me suivre.
Voix in :
On le voit ici, J'ai tout donné
est aussi le titre d'une exposition de l'artiste, conçue en parallèle de la pièce que je viens de commenter. Dans le cadre de cette exposition qui a duré deux mois, Alain Michard a invité des artistes et des « amateur·rice·s » à faire de l'histoire de l'art une pratique artistique. Le premier volet de l'exposition s'appelle « l'école ouverte » : chaque artiste invité et Alain Michard ont fait un choix d'œuvres à partir d'un thème commun. Ils ont donné une interprétation à ces œuvres, sous la forme de documents, visuels, sonores et textuels, qui ont été présentés au public lors d'une performance. Le deuxième volet de l'exposition est appelé « le centre de documentation ». Il réunit et expose les documents produits dans le cadre de l'école ouverte, ainsi que des documents produits par des amateur·rice·s dans le cadre d'ateliers.
Cette exposition met en question les notions d'œuvre et d'histoire de l'art - c'est le document sur l'œuvre qui devient l'œuvre - mais elle interroge aussi la notion de signature puisqu'elle est signée à la fois par Alain Michard, par chacun·e des artistes invité·e·s et par l'ensemble des participant.e.s.
Voix off :
L’essentiel de mon propos correspond ici à un énoncé de type transactionnel. En tant que guide, mon rôle est de diffuser un discours de vulgarisation ; c'est-à-dire de partager un savoir déjà établi sur les œuvres, et non un savoir que je produis. Comme l'explique Dufiet : « Le propre de l'énonciation du guide, est d'être experte sans être scientifique, et par conséquent de bannir la citation des sources. Au contraire même, sourcer la connaissance pourrait menacer la face du guide et le faire passer pour un pédant aux yeux des [visiteur·se·s]. » (30) Je ne vais donc pas prendre le risque de passer pour une pédante en disant que toutes les informations que je transmets proviennent de textes présents sur le site d'Alain Michard, et je vais continuer à transmettre ce contenu afin, je cite à nouveau Dufiet, « que [mon] énonciation experte soit ratifiée par les [visiteur·e·s] » (30).
Voix in :
Je vous propose d'emprunter à nouveau l'escalier qui nous relie aux pièces afin de découvrir cette fois En danseuse, réalisée en collaboration avec onze chorégraphes.
Alain Michard a conçu avec elles·eux des danses dont elles·ils sont les interprètes. Le corps de ces danseur·se·s est habité de toutes les autres danses qui s'y sont inscrites, ce qui fait d'eux, en quelque sorte, une vaste archive vivante de la danse. On peut alors remarquer qu'un mouvement, qui circule d'un corps à l'autre, sera orienté, influencé et marqué par les autres mouvements que chaque corps a déjà appris, développés et répétés auparavant.
Je ne sais pas si vous l'avez repéré mais voici un raccourci par lequel on peut directement accéder à l'étage des films, allons-y.
Comme vous le constatez, le projet En danseuse a donné lieu à un journal filmique.
Il s'agit d'un documentaire dans lequel les chorégraphes que rencontre Alain Michard tentent de répondre aux questions suivantes : « Chaque chorégraphe porte en lui, en elle, une Histoire de la danse. Comment s'y-est-elle inscrite ? », « Et dans cette Histoire intime, quelle place tiennent les images ?[2] »
D'ailleurs c'est souvent dans ce coin que s'installe un autre fantôme qui hante les projets d'Alain Michard : Dominique Bagouet, qui a marqué les préoccupations esthétiques de l'artiste. La vidéo d'archives Encore chaud
donne justement à voir les répétitions de la chorégraphie Jours étranges de Bagouet ; cette vidéo montre le remontage de la pièce en l'absence de son chorégraphe et rend compte du processus de transmission qui se joue ici.
Voix off :
Alors là je parle de Dominique Bagouet comme si tout le monde savait qui c'était, alors que moi-même, jusqu'à il y a encore quelques jours, je n'en savais rien du tout. Mais c'est le genre de précision que l'on tait quand il s'agit de passer pour une figure d'autorité, légitime à transmettre un savoir culturel. D'autant que si je voulais présenter Dominique Bagouet, cela impliquerait de faire un long détour par toutes les fenêtres internet que j'ai ouvertes pour me mettre au courant, de Wikipédia[3] au site Montpellier danse[4], en passant par celui des Carnets Bagouet[5], qui œuvre à la transmission de ses travaux, jusqu’à Youtube[6] évidemment, où j'ai pu voir des extraits de ses chorégraphies... Youtube où j'ai aussi bifurqué vers des vidéos consacrées à Daniel Johnston[7], que j'ai déjà évoqué ! Parce que c'est pareil, avant d'entendre Alain Michard parler de Daniel Johnston, je n'avais aucune idée de qui c'était.
En tout cas, concernant Dominique Bagouet, en tant que spectatrice assise devant un écran d'ordinateur, je dois dire que j'ai beaucoup aimé regarder les extraits de ses danses.
Voix in :
On m'informe via le talkie-walkie que le fantôme de Dominique Bagouet est en fait à l'étage des performances, en conversation avec Robert Filliou. Je vous propose de descendre par l'escalier de service, nous allons peut-être les apercevoir.
Nous voilà à l'étage des performances, bon, il semblerait qu'on ait loupé Bagouet et Filliou, mais c'est l'occasion de commenter une performance d'Alain Michard, intitulée La Carpe et le lapin et sur laquelle la présence de Filliou plane justement. La Carpe et le Lapin est une conférence-performance dans laquelle Alain Michard commente le travail de deux artistes qu'aucun livre d'histoire de l'art n'a a priori jamais présenté·e·s conjointement.
Voix off :
Ici c'est pratique, je n'ai pas à vous refaire le coup de la recherche internet pour partir à la découverte de Robert Filliou, Alain Michard se charge lui-même de nous dire qui il est.
Voix in :
Les protagonistes de la conférence-performance changent à chaque fois ; à Nantes, en 2020, Filliou était présenté avec Daniel Johnston, que j'ai déjà évoqué. On découvre que ce dernier réalisait des dessins influencés par les comics qu'il lisait, et qu'il collait ces dessins au dos des cassettes sur lesquelles il enregistrait ses morceaux. Quant à Filliou, on apprend que sa pratique artistique était inscrite dans sa vie quotidienne, qu'il organisait des moments de vie, comme avec le Poïpoïdrome où des gens étaient réunis pour converser. La présentation qu'Alain Michard donne de ces deux artistes est faite de nombreux va-et-vient, d'un artiste à l'autre, et tisse des liens là où on en n'attendait pas quand on assiste à une conférence : des liens qui concernent les relations amoureuses de l'un et de l'autre par exemple, ou l'attachement qu'ils portaient à leur famille. Et la conférence est aussi faite de détours, par le performeur, qui parle, et fait apparaître, justement, comment ces artistes ont influencé sa pratique artistique, comment il les a découverts.
Inscrire l'art dans la vie, caractéristique qui est souvent mise en avant à propos de la pratique de Filliou me semble résonner avec le travail d'Alain Michard, au-delà de la conférence-performance qu'est La Carpe et le lapin. Pour découvrir cet aspect de son travail, je vous propose de monter dans un ascenseur qui va nous mener d'un étage à l'autre en un rien de temps.
Remontons à l'étage des pièces : avec En son quartier, Alain Michard entraîne un groupe de visiteur·se·s dans une déambulation qui relie la Bibliothèque des Champs Libres de Rennes à l'hôtel Pasteur et au Frac Bretagne.
Il s'agit de faire surgir dans chacun de ces bâtiments des moments inattendus, via un commentaire qui fait de simples passant·e·s les acteur·rice·s de scènes incroyables.
Redescendons de deux étages :
déclencher l'imaginaire dans un cadre banal ou quotidien est aussi ce qui se joue dans le projet d'arts visuels Caravane : plusieurs artistes issu·e·s de grandes métropoles sont invité·e·s à investir un contexte rural dans lequel ils vont organiser des ateliers, présenter des installations dans des jardins, des performances dans des maisons et des conférences dans des granges. En reliant par une longue promenade les hameaux d'un village, ils vont aussi donner aux mouvements des chevaux ou des machines agricoles, l'apparence d'un ballet du paysage.
Descendons à nouveau pour découvrir à présent la performance Fffiiiaaac :
À l'issue d'une résidence réalisée dans le village du sud-ouest de la France qui donne son nom à la performance (avec quelques lettres en moins), Alain Michard fait de la vie de la commune un spectacle dans lequel il s'agit de se rendre sensible à la banalité du présent.
Voix off :
« Ne plus jamais participer à une visite guidée. Plus jamais. Jamais ! » Et ouiouioui, vous aussi vous pensez très fort et j'entends bien ce que vous êtes en train de vous dire. Une visite guidée finit souvent par ressembler à une prise d'otage. Le passage d'un étage à l'autre vous épuise, le flot d'informations vous donne le tournis, vous sentez que vous vous avachissez petit à petit et vous ne savez plus comment vous tenir. Vous aimeriez bien filer en douce... mais ça ne se fait pas, désolée. Vous pouvez jeter discrètement un œil à votre montre... « Qu'est-ce qui a été annoncé en début de visite ? Vingt minutes ? Une demi-heure ? Si ce n'est pas dépassé depuis longtemps, on devrait quand même bientôt s'en approcher non ?! »
Voix in :
J'espère qu'il vous reste de l'énergie parce qu'on n'a pas encore fini notre visite et on repart pour un tour ! On a vu qu'avec Alain Michard l'imaginaire peut surgir de n'importe quel lieu, c'est aussi ce qui se passe avec les promenades blanches : allez, on remonte à l'étage des pièces.
Les participant·e·s des promenades blanches fonctionnent deux par deux. Dans chaque binôme une personne porte des lunettes qui l'empêchent de voir correctement, et l'autre la guide le long du parcours prévu par Alain Michard. Par le biais de ce dispositif, chaque objet, chaque forme, chaque couleur et chaque son, peut produire une émotion esthétique. En ce sens, les promenades blanches ouvrent un imaginaire puissant, tout en démultipliant les perceptions sensorielles.
D'ailleurs, ce que je suis en train de vous dire me donne envie de dévier un peu de la visite que j'avais prévue, pour commenter un autre aspect du travail d'Alain Michard, le fait qu'il inclue toujours beaucoup les spectateur·rice·s dans ses projets. Normalement je ne devais pas en parler aujourd'hui mais je sens que ça peut vous intéresser, n'est-ce pas ? Donc on va faire un petit écart.
Voix off :
Là je tente de vous faire croire que je connais suffisamment bien le travail d'Alain Michard pour me permettre d'improviser un discours, et j'insinue aussi que je tiens compte de vous, de vos centres d'intérêt, que j'aurais réussi à percevoir, dans vos hochements de tête, vos froncements de sourcils et certains « mm » qui vous auraient échappé. Pour tout vous dire, si vous ouvrez sur le bureau de mon ordinateur un fichier intitulé « visite-performance V5 », vous verrez que tout était bien écrit. Et les mots que je prononce en ce moment aussi d'ailleurs. Comme l'explique Dufiet : « la [visite guidée] a toujours un parcours fixe et programmé, pour ne pas dire rigide » (19).
Voix in :
Pour aborder la façon dont Alain Michard associe à son travail les personnes qui pensaient en être les spectateur·ice·s, je vous invite à passer par cette porte dérobée, qui nous ramène à l'étage des arts visuels. Arrêtons-nous devant l'exposition intitulée L'hippocampe de Kyoto, produite dans le cadre de la résidence d'Alain Michard et de Mathias Poisson au Kyoto Art Center, résidence dans laquelle les artistes ont d'ailleurs aussi créé une promenade blanche.
Concernant l'exposition, elle est constituée de dessins, de sons et de textes, qui composent un parcours dans le centre d'art. On peut y voir des cartes sensibles réalisées par Mathias Poisson suite à des ateliers organisés par les artistes, suite surtout aux rencontres prévues ou fruits du hasard, avec les habitant·e·s de la ville. Tous les documents qui composent l'exposition révèlent la diversité des relations qu'entretiennent les artistes et les habitant·e·s avec leur environnement et ses représentations. Il ne s'agit pas ici de témoigner d'une expérience individuelle, mais bien de lier une expérience personnelle de la ville à celle des autres personnes qui la parcourent.
Cette capacité à réunir des gens, à donner la parole et à créer des moments d'échanges est aussi visible dans le Symposium.
Ce projet est visible à l'étage des Laboratoires dans lequel nous n'avons pas encore eu l'occasion d'aller, suivez-moi. Pour le Symposium, Alain Michard réunit environ quinze jeunes artistes originaires de pays et de disciplines artistiques différentes (danse, théâtre, arts visuels). Elles·ils sont invité·e·s à partager leur démarche, leur recherche et les questions qu'elles·ils se posent. Pour ces jeunes artistes, ce moment de rencontre est l'occasion de prendre du recul par rapport à leur travail ; il est l'occasion d'échanger à propos de formation et de processus artistique, mais aussi d'aborder des questions relatives aux contextes économiques et politiques de chaque pays. À l'issue du Symposium, une table ronde et des temps publics sont organisés ; au cours de ceux-ci les artistes invité·e·s présentent leurs travaux en cours.
Voix off :
À ce stade de la visite, vous vous dites peut-être que vous avez appris des choses sur Alain Michard, j'espère, en tout cas. Mais il faut bien que je vous avoue que vous auriez pu apprendre des choses très différentes sur son travail ; que vous auriez pu ne rien apprendre de ce que je vous ai dit, et être pourtant bien informé·e·s sur sa pratique. Au cours de cette visite, j'ai présenté comme incontournables des éléments qui m'intéressent, moi. Je porte beaucoup d'intérêt à des projets dans lesquels on réfléchit à la façon dont on s'empare de l'histoire de l'art, comme dans l'exposition J'ai tout donné, la pièce et le film En danseuse ou la performance La Carpe et le lapin. Je suis très intéressée par ces projets dans lesquels il s'agit de faire apparaître comment des œuvres et des artistes nous marquent, quitte à assumer la transmission d'une histoire de l'art subjective et orientée par des préoccupations personnelles. Je porte aussi beaucoup d'intérêt à des projets dans lesquels des situations communes deviennent autre chose que ce qu'elles semblaient être, quand ce qui ressemblait à une conférence dans le cas de La Carpe et le lapin, n'en est pas vraiment une par exemple. Et je porte aussi beaucoup d'intérêt à des projets dans lesquels le public est associé, concrètement ou métaphoriquement, à la situation produite. C'est tout cela qui a orienté la visite que j'ai proposée. Dufiet le dit bien « […] si l’on considère qu’une [visite guidée] a une durée limitée, mais que les domaines de savoir qui entourent un monument culturel sont très nombreux et très vastes, il est évident que le [guide] est amené à définir lui-même le périmètre et la précision de ses connaissances. » (30)
Voix in :
Malheureusement, et comme vous le savez, nous avions un temps limité pour cette visite guidée et elle touche à présent à sa fin. J'espère que cette visite vous a plu et je vous remercie vivement pour votre écoute. Si jamais il reste des questions en suspens on peut prendre un petit moment pour échanger, je vous demanderai juste quelques petites secondes pour que j'aie le temps de ranger mes affaires.
Voix off :
Ça c'est ce que Dufiet appelle la fermeture de la visite guidée. Comme il le précise, elle est « moins importante que l'ouverture. […] Elle a une fonction simple : elle produit le constat que le programme discursif a été respecté et elle sanctionne la séparation entre le [guide] et les [visiteur·se·s] par des salutations (les routines de politesse). » (36) J'espère que cette visite vous a plu et je vous remercie vivement pour votre écoute. Si jamais il reste des questions en suspens on peut prendre un petit moment pour échanger, je vous demanderai juste quelques petites secondes pour que j'aie le temps de ranger mes affaires.
[1] http://www.alainmichard.org/
[2] http://www.alainmichard.org/Journal-d-En-danseuse
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Bagouet
[4] https://www.montpellierdanse.com/artiste/dominique-bagouet
[5] https://www.lescarnetsbagouet.org/
[6] Géraldine Pigault, Montpellier danse 40 ans, France 3 Occitanie, Montpellier danse, https://www.youtube.com/watch?v=jqMSBkfoMcE
[7] Arte, Tracks, https://www.youtube.com/watch?v=_o-8bV3aI50&t=399s
Bibliographie :
-
Dufiet, Jean-Paul (dir.). Les visites guidées. Discours, interaction, multimodalité. Trento : Dipartimento di Studi Letterari, Linguistici e Filologici, 2012.
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À propos du/de la rédacteur.ice :
Clémence Canet mène depuis 2019 une recherche doctorale en arts plastiques et linguistique à l'Université Paris 8, sous la direction d'Anne Creissels et de Luca Greco. Sa thèse porte sur des artistes qui donnent des visites-performances et interrogent de la sorte les paradigmes de pensée dans lesquels peuvent s'inscrire les discours sur l'art. Investie dans un processus de recherche-création, elle réalise des performances qui rendent compte, par la pratique, de ses préoccupations théoriques.