« Me suis couché tard, me suis levé tard »
- Antoine Moreau
Nous sommes le premier jour de l’année. Me suis couché tard, me suis levé tard, un peu dans le coaltar. Nous sommes mercredi, demain jeudi, le son des mots vient se jouer du sens. Est-ce là propre au poème ? Pas seulement, la raison en son raisonnement résonne aussi de sons. Une pensée sans sons n’a pas de sens, ni même de non-sens, elle n’est pas.
Je reprends. Le deuxième. Je me reprends, je me ressaisis. À vrai dire je peine. J’ai du mal. À écrire. Là, cette nuit. Chercherais-je son cœur ?... Je pense : « écrire est laborieux au point que ça en est honteux. » Et comme ceci est mal exprimé (fatigue ?...)... j’aurais pu dire (écrire) : « écrire est à ce point laborieux que ça en est honteux ». Ou : « écrire est si laborieux que c’est honteux ». Mieux, pas mieux ?... Ça y est, c’est reparti pour un tour de chapeau à travailler du... Pffff... Au secours !... Dormir... Je doute de je. Je n’y est pas. Je cherche une porte de sortie. Je se cherche. La nuit surtout, si je est un autre, comme le dit l’homme aux semelles de vent, alors qui est-il ? La face cachée. Quel est cet autre ? Un autre. Une altérité. Une ligne de fuite, un horizon, une trouée. Que sais-je ? Que sait je ? « Je sais que je ne sais pas » dit le philosophe condamné à mort pour corruption de la jeunesse. Lui au moins n’aura pas écrit. Juste ouvert la bouche pour interroger les faits et gestes et affirmations et opinions. Je penche. Me penche sur le sujet. N’y vois goutte. Le soir est baissé.
Me suis levé à cinq heures ce matin, il fait encore nuit et qu’est-ce que je fais depuis ?... Il a rêvassé. Tout n’a-t-il pas été dit à propos de je ? Qu’il est un autre, qu’il pense donc qu’il est, qu’il sait qu’il ne sait pas et je en oublie. Oui mais je, le je du singulier soi-même... Je est comme étrange. Pourtant c’est bien je. Suis-je en face-à-face avec je même ? Là, face cachée. Vais-je me mirer le visage et plus encore l’intérieur du crâne à perte de vue ? Non pas, car ce n’est pas moi, c’est je, c’est l’autre qui pense et ne sait pas, c’est ce je ce n’est pas le moi ni le soi ni le ça mais le je, le je qui est un peut être. Sais je ce que je dis ?... Je amuse je. Ah ah !... Ah ah ah !... Je est libre !... Se moque du monde. Oh oh... Qu’est-ce que je dis ?... Il fait encore nuit mais elle n’est plus pleine, elle va vers le jourd’hui soleillé.
Je tourne autour du je. Je n’y suis pas encore. Je tourne autour de je. N’y suis pas encore. J’y suis pourtant mais à la lisière et je tourne. Mais qu’est-ce qu’y être ? Sans doute faut-il du temps. Pour y arriver, pour y être. Je cherche. Je cherche je. Je est là mais je ne sais pas. Ne le sais pas. Et pour quoi savoir ? Savoir quoi ? Serais-je bien avancé, je serai bien avancé ? Avancé dans quoi ? Je tourne autour du je et je est. Est où ? Je est dans l’entour. Il est une courbure. Je est-il ? Il est je ? Non, ce n’est pas encore ça. Je est autour de je qui tourne autour. À l’entour est je et je tourne autour. Extérieur intérieur. Je est une interface à double face. Pile. S’agirait-il de me trouver à minuit ?... Pile.
Quelle nuit sommes-nous ? Je poursuis je reprends. Je fais que ça. Ne. Je. Re. Je continue je suis en continu mais pas tout en continu. Je poursuis entre rien de neuf sous le soleil et je ne me baigne jamais dans le même fleuve. Je plonge la nuit-là qui accueille mon sommeil. Je rêvasse encore, bientôt je vais couler lentement et sombrer délicieusement. Au « qui suis-je ? », au « je sais que je ne sais rien », au « je est un autre » qu’ajouter, qu’ajouter d’autre ?... Demain est une autre nuit, demain est un autre écrit.
Minuit : je est partagé. Je est entre je est antre. Je est tout, de même. Je est un, tout, de même qu’il est multiple. Par ailleurs. Quel est cet ailleurs ? Soi pas même. Soi : je : moi : autre : inconnu : inventé : inventeur : par l’ailleurs. Midi ?... Midi ! Soleil de. Aurore et crépuscule : mi di et mi nuit sont pôle Sud et pôle Nord. N’est-il pas périlleux de s’y laisser entraîner ? À l’ouest alors !... Complètement... L’ailleurs, là, éloigne je de je. Je est tiraillé. Il est et il est pas. N’est pas et est. Naître ne lui suffit pas, je a à renaître. Être est renêtre. Je ren’est. Je est re. Je re. Je est n’. Je n’. Dormir est mourir un peu.
Je m’amuse, je amuse je. Je m’amuse je. Je m’amuse je amuse je. Ah !... À Dieu va !... L’Ailleurs là. Ah là là... La noche oscura... Alors là !... Je... Je Ne... Je Ne Sais... Je Ne Sais Pas... Obscure est la nuit. Je observe je vois je. Je déjoue. Je déjoue je rejoue je. Je me je. Dans les détails. Des détails. De taille. Là où le Diable là où Dieu. Est. Sont. Là. Et... Je... Manque l’ombre alors, la nuit de l’inconnu l’Inconnu. Je, cherche l’obscur sûr. Nous en sommes là aujourd’hui, je cherche la fraîcheur d’un soir empli d’un matin long.
Je me réveille. Je réveille je. Me suis réveillé ce matin moins tôt que d’habitude où je me lève tôt. J’aime le tôt du matin, tout est ample, le temps est large et je suis disposé à l’embrasser lentement. Rien ne presse, rien ne m’oppresse. Tôt le matin, il est vers cinq heures, sans qu’un réveil ne sonne pour me lever, je me réveille. Suis impatient d’ouvrir mon ordinateur et connecté de prendre connaissance du monde en ses actualités. La vie. Je suis vivant sorti de sommeil poursuivant la vie. Je suis je la suis. J’est la vie. Je est vivant. J’ai passé du temps, du temps est passé à travers je est vivant j’est la vie.
Je suis réveillé. Voilà ce que je est. Ah ah ah !... Je suis heureux là, voilà ce que je est. Oh oh !... Je suis ce que je suis ce que je suis et ainsi de suis. Suis-je celui que je suis ? Je suis celui qui suis. Je NE suis PAS celui qui est. J’est dormi je n’étais PAS MAIS je étais. Où ?... Ou l’inverse ?... Jeu de pôles, mi nuit et mi d’hui.
Qui ?... Je ?... Je qui ?... Je ! Mon quiqui !... Il hésite, il ne sait pas comment s’y prendre. Il n’y croit qu’à peine, il n’y croit pas, croit pas en lui. Je doute. Je crois que. Je crois que... Il lui semble. Mais... Mais oui... Mais encore ?... Pas encore. Encore raté, je est une rature, un ratage. Tragi-comique comédie tragique, je s’applique à se comprendre et s’envisager mais choit. Depuis le début c’est ainsi depuis la nuit des temps, l’homme et la femme ont chu. Je est venu au monde sachant la chute, sait sans savoir, sent sans qu’il ne le sache. Elle et il, l’Histoire, l’histoire, des histoires... Des racontars... Des croyances auxquelles les je portent crédit. Et le je de tout un chacun, toute une chacune ?... Intimement y croient-ils y croient-elles ?... Y crois-je ?... Y !... Z !... X !... Où suis-je ?... Où en étions-nous ? Nous ?... Je ?... Là-dedans nous ?... Je : nous ?... Puisque je est pluriel alors qu’il soit dit nous, cela va de soi. Je sommes. En somme, je sommes.
Je... Heu... Zzzzzz...
Je réfléchis. Je me réfléchis. Est-ce là moi ? Est-il possible que je me sache ? Je n’est-il pas l’insu ? Le « connais-toi toi-même » inscrit au fronton du Temple de Delphes est l’invitation à découvrir qui je suis, sachant que le savoir ne le peut mais que je peux le savoir par l’invention. Je peux me voir dans le reflet des astres que je vois la nuit en sa profondeur. Mais que vois je ? M’y reconnais-je ? Je vois je. Je entends je. Je est je. Point final. Pas finalement. La vitesse de la lumière fait le jour.
Je tourne en rond comme la boule nommée « terre » autour d’une étoile lumineuse. Elle éclaire et je vois je réfléchis. Au-delà des miroirs : une pensée possible, un penser possible. Je traverse et des ombres naissent, j’observe une réelle trouée. Je retrouve je. Je ne pense plus je est pensé. S’inscrivent des formes comme autonomes et qui, à la surface, font traces de. D’où viennent-elles si ce n’est de là dans le trou que j’embrasse ? J’troue. J’trouve. Je troue je trouve je trou je trouée. Noir et naine blanche.
Je vais mourir un jour. Je va mourir. Aucun retour. Ce sera fini. Je sera achevé en son être. Enfin.
J’aurai été à la fin, à la toute fin j’aurai été ce que j’ai été. Je aura été à la fin, à la toute fin je aura été ce que je a été. Il aura été à la fin, à la toute fin il aura été ce qu’il a été. Ce sera fini, ça aura été la vie. Je reposerai définitivement sans réveil. Cette nuit je veille, ce n’est pas encore le jour. Mon lit est un cercueil.
Dans quelques instants je va se relever et va marcher. Va aller dehors. Je va y aller. Cette journée : un jour né. Jour après jour je né, renait. Toujours le même toujours autre. Il se lève, il s’accomplit, il s’endort. Et c’est reparti : il se lève, il s’accomplit, il s’endort. La vraie vie est la nuit ?...
J’y suis. Allé. J’y était. Marchant pied à pied pas à pas. Quel bonheur !... J’y, je, y. J’ai fait un tour et je suis revenu, c’était la nuit, je me suis allongé et j’ai dormi. Le jour suivant, aujourd’hui donc, je me suis réveillé et me suis levé. Puis, au bout d’un moment, je me suis assis. Je me lève pour respirer un peu, je fais le tour de la pièce où je suis et je me rassois. L’écriture est signe d’être assis. Suis dans un cul de sac. Les mains posées sur le clavier je tapote face à l’écran. Il paraît que c’est une fenêtre ouverte sur le monde... Fresh Widow.
Hier soir, allongé à m’endormir, je pensais, ou plus exactement, des pensées me traversaient et j’avais une phrase que je trouvais pas si mal pour la coucher là par écrit et puis pfuitt !... sitôt debout : disparue...
Je est en jeu. Fallait que je le fasse celui-là... Foin de je de mots !... Je s’y perd. Fait mumuse. Il en faut du jeu, mais oui. Jeu pense, donc jeu suis. Jeu sait que jeu ne sait rien. Jeu est un autre. Je est en jeu. Voilà. C’est dit, c’est fait, je de mots, je de rots, je de moreau. Mort, eau. Ah !... La saucisse... Voilà où on en est... On ?... Qui ça on ?... On... On croit rêver... Voilà où j’en suis, j’en suis à faire mumuse avec les momots... Jeu me pose la question : « qu’est-ce que le sérieux ? ». Je lui réponds : « jeu peut être sérieux ». Jeu rit. Je ris aussi. Nous rions de bon cœur. Je, je et jeu. Je, je, jeux. Nous sommes ! Je sommes ! Jeux veux mon n’veu. JeuX veuX mes n’veuX !... X inconnus qui s’amusent au jeu du je aux jeux des je. C’est qu’il y en a... Facettes alouettes !... Faites vos je, rien ne va plus. Nous verrons bien au petit bonheur la chance. Je la retrouvais la phrase perdue au seuil du plongeon et puis pfuittt !... nuittt !...
Voyage autour de mon je. Inspection, introspection, expédition. Je voilà, me voilà, parti pour un tour, allant de ci de là, de là à là-bas à là-haut à l’envers à l’endroit de travers en diagonales en long en large en haut en bas par parallèles et traverses de biais en courbes tout droit de point à point puis... Que voit je, que sent je, que pense je ? Est-il éclairci ? Est-il éclairé ? Non pas. Je est un point aveugle. Je est absent, il n’est pas au monde. Je le suis, moi, mondain par la gravité terrestre et le poids du corps mais je ?... Je le suis et le poursuis, je le sens et le pense, je fais le tour de je, ce je. Non pas que je sois aspiré par, fasciné par, mais que me penchant dessus, pour en examiner, par jeu plus que par science, les contours, j’observe ceci que je rapporte. Je ne m’appesantis pas. J’examine et me moque. Je tiens je en respect, qu’il y ait de la distance, une marge d’erreur même, un aléa temporel, je ne me laisse pas aller à je ne sais quoi, je ne sais pas tout, je ne peux pas tout savoir de je. Je poursuis je. Et je ?... Que poursuit-il ?... Est-il ?... Est-il d’ailleurs ?... D’ailleurs oui il y est il s’y trouve. Je est d’ailleurs je. La preuve ? Je s’entend ronfler.
Je poursuis ce que je suis, ce que je suis me suis et s’accomplit pour suivre ce que je peut être. Peut-être... Je me moque du monde, non ?... Ah ah ah !... Le lecteur est bien joué... Je cache, je me cache dans quelques fourrés. Coucou !... Coucou !... Ici !... Là !... Oh oh !... Me trouve pas, il me voit mais je disparais. Et apparais !... Me voit plus. Moi j’écris. Cherche. Entre les lignes. Cherche plus. Les nuits. Où je suis ?... De pleine lune. Je suis où je suis. Ronde et blanche. Il ne cherche plus, il est lassé, je refais mes lacets et repars par-là, là-bas au loin, j’y serai tout à l’heure, suis sur ma lancée, du matin au soir, dès le réveil jusqu’au coucher. J’aurai encore passé une journée, elle m’aura traversé autant que je l’aurai traversée, elle m’aura transporté autant que je l’aurai transportée. Pour ne rien dire de la nuit...
De la nuit on ne peut rien dire m a i s tu le peux. Tu as tes entrées, t’y entres par l’entrée des artistes, la porte est étroite à l’abri du regard du public qui vient à la représentation. On lui en fait croire des histoires... Rêve tout éveillé et applaudit, il a vécu un moment plus réel que la réalité. De la nuit je n’écris rien mais elle transparaît et le lecteur est pris la lectrice est prise, je l’ai plongé dans une certaine obscurité où se confondent toi et moi et nous tous nous toutes vous et elles et eux et je je je. De la nuit nous dirons qu’elle est un théâtre d’opérations mistigrises où les je s’inventent.
Je est inventé. Je s’invente je m’invente. Le monde se fait jour et nuit et jour et nuit et ainsi de suite en suite le monde se découvre. Je suis le monde partout où le monde est et le monde poursuit qui je suis. Je ne suis pas au monde je suis le monde le monde m’est. Tout le monde, je suis tout le monde tout le monde m’est. Mais je est autre que je suis que je ne suis. Je s’invente je. Et puis, se couvre pour après se découvrir selon les circonstances plus ou moins découvert, plus ou moins intensément je se découvre et il est celui qui peut être.
De fait, oui, il est. Mais en fait, il a à reêtre. Car il n’est qu’à renêtre. Être et n’être est. Autant le dire explicitement : d’un mouvement dialectique je me dépêtre de ce que je suis je est je. Ni une, ni deux, mais trois. Je suis trois : être, n’être et ce qui se conjugue à la première personne du pluriel : nous.
Jeu sais !... Jeu fais des je de mots... Le je de mots m’a gagné. Il m’a forcé la main et je me suis incliné. Jeu le sais je le sais !... Le sachant, je le suis. Je suis le jeu. Jeu m’amuse je m’amuse. La nuitée bien entamée, jeu me réveille.
Je continue ou jeu continue ?... Ah ah ah !... Je perds au jeu. Mais... Qui perd gagne ?... Ah !... Arbitraire ou justesse des mots plus que sensés, les mots et leurs sons, la résonance jusqu’à la raisonance, la tourneboulant, lui chatouillant jusqu’à l’étymologie même... l’écho j’entends. Au hasard le coup de dés à la fleur gagnante. La fleur... Bin oui : « (1200) hasart ; De l’ancien français hasart, de l’espagnol azar, venant de l’arabe andalou الزهر, az-zahr (« dé, jeu de dés »), nommé d’après l’arabe زهر, zahr (« fleur ») car la face gagnante du dé portait une fleur. » Dixit le Wiktionnaire.
Je joue dans un champ fleuri d’étoiles en la nuit pleine. Les mots s’ouvrent de toutes couleurs, des pousses poussent, c’est le printemps, c’est l’été, c’est l’automne, c’est l’hiver ; c’est la révolution des planètes, le monde dort, tout le monde et je écrit et j’écris.
À propos du/de la rédacteur.ice :
Antoine Moreau est maître de conférence à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, France, au département Multimédia de l’UFR STGI à Montbéliard. Il est co-responsable de l’axe Création & Écritures Médiatiques et Numériques et responsable du programme « Liens entre les arts et le numérique » au sein du Pôle CCM (Conception-Création-Médiations) du laboratoire ELLIADD. Ses travaux concernent les Sciences de l’Information et de la Communication et les pratiques artistiques nourries du numérique et de l’internet. Il est à l’initiative et co-rédacteur de la Licence Art Libre, première licence libre pour les œuvres hors logiciels. Il est un artiste peut-être.
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À propos du texte :
Antoine Moreau, « Me suis couché tard, me suis levé tard », un texte réécrit, version 3, pour la revue Écriture de soi-R, avril/juillet 2021, extrait de « Je », 12, Éditions Scions du bois, 2021, https://editions-scions-du-bois.com/12-2.
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